jeudi 24 novembre 2011

Haïti, deux ans après. L'oeil ébouriffé.

Quinze jours en Haïti, envoyé par Médecins du Monde, pour rapporter des témoignages dessinés sur les Haïtiens, deux après le séisme.
J'en reviens le coeur lourd et l'oeil ébouriffé.
En voilà une partie.
Derrière elle, sa maison démolie, hantée par ses deux cousines disparues,
à coté, sa future maison pas terminée, et puis la tente ou elle vit
depuis deux ans avec sa famille, en attendant...

Cimetière de Dano. Ici, même les morts ont été secoués par le séisme.

A la sortie de Grand Goave s’étend une large place où des tentes sont alignées.
Un terrain de sport réquisitionné, comme partout ou le seisme a frappé.
Nous y avons rencontré deux frères qui ont vécu le même drame.
Ils ont passé quarante huit heures sous les décombres, blessés, avant qu’on ne les en sorte.
Les yeux du plus jeune ne demandent qu’à rire.
Les yeux de l’ainé sont deux trous noirs dans lesquels la peur se cache encore aujourd’hui.
On aura beau lutter pour leurs droits, les hommes ne naîtrons jamais tout à fait égaux.

Imaginez un hangar, au milieu d’une place baignée de soleil.C’est l’école du Nouveau Départ. Une école privée.La porte est ouverte. J’entre timidement. J’offre un de mes livres à la directrice. Elle fronce les sourcils et hoche la tête: ça lui plait. Après avoir écouté ma demande, elle m’autorise à dessiner. Elle m’indique une chaise et une table , en plein milieu. J’obeis, je m’asseoit. J’ai toujours eu peur des directrices.Trois classes dans cette école: petits, moyens, grands. Tous en uniformes orange. Les petits slament en choeur, après le maitre: à l’école, à l’école ,on apprend,on apprend, à écrire, à écrire, à compter, à compter, à vivre, à vivre, en société, en société, à l’école à l’école, on apprend… Le moyens chantent de leur côté la table des neuf tandis que la directrice, qui enseigne aux grands, scande des préceptes comme un preacher de Harlem. A quand le nouveau départ pour tous les Haïtiens?

Comment peut on vivre si pauvrement dans un pays si verdoyant ?

Marie m’acceuille dans sa petite tente CTC comme si elle n’attendait que moi.
Avant d’entrer, je javellise mes mains.
Le paillasson imbibé de chlore fait floc floc sous mes pieds. Obligatoire.
En princesse, elle me fait visiter ses neuf mètres carrés, luxe de propreté au bord d’une décharge.Un seul lit de camp. Vide. Elle soulève les couvercles des bassines comme si elle m’avait préparé des petits plats. Je hoche la tête et lui demande ce que c’était, ce grand batiment démoli, là bas.Elle me répond en Créole.
Je comprend à moitié: c’était une université, une école d’architecture. Elle y travaillait.
Dans ses yeux , je vois les étudiants, l’animation, le savoir, les espoirs d’avenir .
J’y vois les regrets.
Elle pose assise sur ce bel escalier qui ne mène plus à rien.